Plaidoyer pour une prise en compte officielle de la langue corse

À l’heure où les initiatives salutaires individuelles, associatives et militantes se multiplient en faveur de la langue et de la culture corse, force est hélas de constater que la pente du déclin de la pratique de la langue que nous nous efforçons collectivement de remonter quotidiennement semble avoir raison de nos travaux et de nos œuvres. Face à ce qui ressemble fort à un constat d’échec, et tandis que l’on parle toujours plus de sauver ce qui peut l’être, il n’est sans doute pas inutile de s’interroger sur les raisons de cette perte de pratique toujours plus grande, et sur les moyens d’y remédier.

Alors, à qui la faute ? La question, peut sembler simple, mais la réponse est assurément complexe. A priori, il pourrait apparaître que les premiers fautifs sont aujourd’hui les Corses eux-mêmes, toujours plus prompts à parler de leur langue qu’à parler leur langue. Mais à quoi cela peut-il être dû, sinon à une rupture de la transmission générationnelle relativement récente qu’il nous faut questionner. Car si la politique linguistique de la France a, pendant longtemps, été sous le signe du mépris des langues dites régionales, (cf les discours de Barère et de Grégoire qui souhaitaient littéralement leur éradication), et si l’enseignement scolaire du corse n’a débuté que depuis moins de cinquante ans, on peut aisément dater cette rupture de transmission aux années d’après guerre. Est-ce à dire que l’insidieuse logique de dépréciation systémique et systématique n’aurait eu aucun impact sur la survie de la langue ? Ce n’est pas mon avis, quand bien même le coup de grâce survint plus tard, lorsque la société ne jugea plus utile de transmettre cette langue à ses enfants, et que l’école n’était pas encore prête à prendre le relais.

De fait, si les vexations et les brimades semblent ne pas avoir entravé la survie de la langue en leurs temps, elles ont cependant contribué à ancrer dans un imaginaire collectif l’idée aussi erronée que vénéneuse que le corse était une « sous-langue », qualitativement indigne, car quantitativement peu parlée, tout juste bonne à exprimer l’ordinaire des jours de la vie paysanne dans les villages. Et lorsqu’avec le vingtième siècle, ces mêmes villages se sont largement désertifiés, et que s’est imposé le filtre de l’utilitarisme dans une société qui se voulait moderne et rejetait tout ce qui semblait s’en écarter, tout était déjà prêt pour réduire au silence une langue que l’on n’apprenait pas à l’école, et qui était de moins en moins transmise, car considérée comme inutile. Le temps fit le reste, et le formidable courage des militants et militantes de la langue corse, s’il permit quelques sursauts individuels et collectifs aussi louables que nécessaires, ne fut pas de taille à lutter contre l’indifférence de beaucoup qui continuent encore de ne voir dans la langue corse qu’un vague dialecte inutile, tout juste bon à compter les chèvres dans le silence et la solitude des montagnes corses.

Voilà pourquoi, je considère qu’aujourd’hui, la seule volonté individuelle, si elle est primordiale dans la démarche de sauvetage de la langue, ne suffit en revanche pas, ou plus, pour cela, et qu’elle nécessite désormais un sérieux coup de pouce au niveau officiel d’une manière ou d’une autre, qui puisse raviver l’utilitarisme de la langue au-delà du symbole et du cercle des passionnés. Un coup de pouce qui pourrait avoir différentes formes, telles que le bilinguisme ou la co-officialité.

Entendons-nous bien ; je ne propose pas de solution miracle, d’autant que je ne crois guère en des solutions simples à des problèmes complexes. Toutefois, il me semble que si de nombreux pays comme par exemple le Pérou n’ont aucun problème à sauver leurs langues locales minoritaires, comme par exemple le quechua ou l’aymara qui comptent quand même plusieurs millions de locuteurs et un statut officiel, c’est bien la preuve que quelque chose peut être fait et qu’il convient d’espérer.

Enfin, quant aux esprits chagrins qui resteraient opposés à l’idée de renforcer l’enseignement ou l’application courante du corse au prétexte que cela créerait des barrières, je souhaiterais répondre encore une fois que toutes les langues ont vocation à l’universel, à constituer des ponts entre les êtres et non des barrières qui les entravent, et que la seule limite est celle de l’imagination.

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