Au long chapitre des lamentations linguistiques et consternations en tout genre, il ne faut pas oublier ce poncif tenace qui veut qu’une langue ne peut vivre qu’au détriment d’une autre, qu’elle se doit de pousser dans ses retranchements ultimes, parfois jusqu’à l’extinction, dans un inéluctable rapport dominant-dominé.
Aussi, comment ne pas être consterné à force de lire ici ou là qu’apprendre des langues dites locales ne sert à rien sinon à empêcher l’apprentissage de langues internationales beaucoup plus « importantes » ? Comment ne pas se crisper lorsque l’on entend dire, par exemple et encore une nouvelle fois de plus, que la langue corse n’a aucune utilité puisqu’elle n’est parlée qu’en Corse ?
De même, comment ne pas fulminer lorsque l’indispensable défense des langues en danger de mort n’est pour certains qu’un alibi pour exprimer, non pas l’amour de sa langue, mais la haine de l’autre à travers la sienne ? Comment ne pas être atterré lorsqu’à la suite d’un tweet relayant un article dénonçant l’inaction des décideurs français en faveur des langues dites régionales, une majorité de réponses ne trouve rien de mieux à dire que c’est pour « mieux imposer la langue arabe » ? On sent bien la préoccupation culturelle exhalant de ces propos dépourvus de toute arrière-pensée !
Ces logiques on-ne-peut-plus simplistes – pour rester correct – vont à l’encontre de tout ce qui est désormais admis en l’état actuel de nos connaissances sur le sujet, et de toutes ces études qui tendent à prouver les incontestables avantages d’être bilingue ou polyglotte.
En effet, croire que les langues puissent être ennemies entre elles et leur apprentissage simultané une mise en concurrence nuisible pour l’esprit est un non-sens :
- C’est oublier que la culture n’est pas un monolithe indivisible et immuable aspirant à l’uniformité, à niveler les nuances, les particularismes et toute la subtilité de la pensée humaine ;
- C’est omettre que l’apprentissage des autres langues permet de renforcer notre compréhension des autres cultures, de lutter contre les stéréotypes qui obscurcissent notre vision du monde, et ainsi de développer notre empathie pour les autres groupes humains, pour les autres peuples ;
- C’est faire fi des nombreuses recherches qui démontrent que le bilinguisme accroît les capacités cognitives, tant dans la réussite de tests que sur le long terme pour lutter contre certaines maladies cérébrales dégénératives ;
- C’est s’enfermer dans une idéologie de repli sur soi.
L’apprentissage d’une langue est une chose ardue, un investissement fastidieux, et un pari que l’on ne gagne pas toujours. Je suis bien placé pour savoir que l’échec est parfois au bout de la route. Il est donc hors de question de blâmer les personnes monolingues, qui n’ont pas réussi à apprendre une autre langue que la leur, ou qui n’ont tout simplement pas pu essayer, pas pu s’y consacrer.
Toutefois, rejeter jusqu’au principe même de la curiosité visant à se pencher sur d’autres langues, quelles qu’elles puissent être, et pour des motifs tout aussi multiples que foireux relève à mon sens d’une faute morale confinant à l’ignorance volontaire qui s’oppose au progrès de l’esprit humain.
Car au-delà des vaines polémiques d’un instant t, les langues sont le reflet de l’âme des peuples qui les parlent et constituent tout autant de briques charnelles de notre richesse commune immatérielle.

Quelques pistes pour approfondir le sujet :